Structure d’accueil du projet
L’Institut Saint-Laurent de Liège est une école secondaire professionnelle et technique dans des filières traditionnellement masculines. Historiquement, il a formé le fleuron du personnel industriel de la région mais il a vu se modifier son environnement économique, social et culturel. La population accueillie s’est diversifiée ces dernières années au regard des différentes vagues de migrations. Saint-Laurent est décrite comme devenant peu à peu une école d’intégration.
Constats et ressources de départ
De nombreux jeunes vivent des difficultés sociales, connaissent le manque de motivation ou le décrochage scolaire, vivent des frustrations devant le manque de perspectives individuelles et collectives. Certains vivent par moments à la rue et ont besoin d’une aide de première nécessité. Dans ce contexte, les masculinités se retrouvent bouleversées et quelque part exacerbées. Des conflits extérieurs dont ceux liés à la géopolitique s’invitent dans l’établissement. L’enveloppe physique de l’école vieillit elle aussi et accentue le sentiment d’abandon.
Différents membres de personnel ont pris rapidement conscience de ces transformations et de leurs enjeux et dangers. Ils se sont mobilisés pour trouver le soutien financier nécessaire pour mener des actions concrètes à différents niveaux. Le coordinateur de projet est un professeur soutenu par un noyau dur et stable de collègues, dont des enseignants et la direction.
Objectifs et concrétisation du projet
Les objectifs sont autant collectifs qu’individuels : d’un côté offrir de l’écoute, du soutien, des ressources et de nouveaux challenges et responsabilités aux jeunes; également transformer positivement le climat et l’enveloppe physique de l’école et ouvrir cette dernière sur son environnement. Pour cela, toute une série d’actions ont progressivement été mises en place. Un local d’aide urgente a été aménagé et des récoles de denrées et de matériel de première nécessité sont régulièrement organisées.
Avec les professeurs et chefs d’atelier, des tables de ping-pong ont été construites et une gestion de cette activité a été pensée pour impliquer les élèves ; il en va de même concernant le sas de décompression destiné à calmer les jeunes qui ‘débordent’ ; les goals de foot ont été améliorés ; un projet ‘vélos’ (entretien, sorties de groupe) a vu le jour. Le speedminton est désormais pratiqué à l’école.
Chaque année, un projet d’initiation au théâtre se concrétise, le but étant de faire coopérer des classes d’enseignement technique et de professionnel et de déboucher, si le climat s’y prête, sur un spectacle coproduit par les élèves sous la direction des artistes professionnels. C’est l’occasion de travailler l’expression, la créativité, le français. C’est aussi une opportunité pour les jeunes d’amener des thématiques qui les préoccupent, comme les relations garçons-filles et les stéréotypes sexués.
Un local ‘bibliothèque’ a été repensé et propose la consultation de journaux comme de manuels scolaires pendant les heures de fourche. Du matériel informatique a été acquis pour développer des activités ‘images’ et ‘son’.
Un repas de félicitation ‘pizzas’ met à l’honneur une fois par an les élèves qui se sont distingués et ont évolué favorablement.
Progrès réalisés –point forts du projet
Ce projet est décrit à la fois comme morcelé car décliné en sous-projets et englobant car faisant sens et donnant ses effets dans sa totalité et ses articulations internes. L’équipe a veillé à mettre en place des lieux de dialogue et des outils d’évaluation des actions menées. Elle a impliqué et répondu à certains besoins du PMS ou des logopèdes.
Chaque année, les élèves de professionnels rechignent à entrer dans le projet ‘théâtre’ du fait de leur manque de leur confiance en soi et de leur souci du regard des pairs. Néanmoins, au bout de l’année, la plupart de participants ont fait le pas et retirent de la satisfaction et de la fierté de monter sur scène. Ils font preuve de beaucoup d’écoute mutuelle durant les ateliers d’improvisation et de montage du spectacle. L’audience s’est montrée très attentive et admirative quant au résultat. L’ambiance et la cohésion de l’école s’en trouvent renforcées.
On ne reste pas dans le ‘faire’ mais l’équipe développe une réflexion critique et des actions de conscientisation. C’est le cas à propos de la pratique de body-building et de ses produits dérivés (boissons énergisantes…). D’autres initiatives ont été proposées en contrepied comme des moments de relaxation et de méditation. Pour cela, il faut trouver des animateurs intéressés et formés. Participer au projet ajoute à l’investissement personnel affectif et temporel indéniable. Néanmoins le noyau en charge du projet est resté stable et le surmenage semble être évité.
Même s’il a fallu rediscuter des critères les plus justes possible pour choisir les élèves méritants à inviter au souper ‘pizzas’, on s’est rendu compte que cet événement était attendu, valorisé et valorisant.
De façon générale, le projet permet aux élèves de renforcer leur vivre ensemble et les a ouverts aux autres (personnes et cultures). Certains élèvent ont pu mettre en avant certains talents grâce aux différentes activités.
Effets positifs non attendus
De plus en plus de familles se sont intéressées aux productions des jeunes (théâtre, exposition). Quelques professeurs se sont aussi mouillés en se produisant sur scène à côté des jeunes et cela a changé le regard mutuel entre jeunes et adultes. A une autre occasion, des professeurs et observateurs extérieurs au projet théâtre ont été choqués par la violence verbale (dans les expressions et termes employés, dans l’intonation) dont ont fait preuve les apprentis ‘acteurs’ dans le spectacle qu’ils avaient conçu. Cette situation a débouché sur discussion intéressante et constructive qui a abordé les questions de rapports sociaux intergénérationnels, de sexe et de classe.
L’équipe du projet se forme régulièrement, notamment pour comprendre les dynamiques individuelles et collectives. Elle exprime aussi régulièrement ses interrogations face aux réformes de l’enseignement qui risquent de ‘voler’ la jeunesse nombreux élèves, d’un côté en poussant ces derniers trop tôt hors de l’école et vers un employeur hypothétique sans le bagage et la maturité nécessaires, de l’autre côté qui risquent d’ augmenter leur démotivation en rechargeant le programme de cours théoriques. Ils proposent régulièrement des pistes d’expérimentation comme l’organisation d’une année sabbatique constructive pour les jeunes abîmés par la vie et vidés de leur confiance en eux.
Difficultés et résistances
L’école est confrontée à de nouveaux challenges avec l’arrivée continuelle de primo-arrivants, de DASPA et l’importation à l’école de querelles entre des groupes ethniques ou nationaux. Si de nombreux membres du corps enseignant se montent positifs par rapport au projet, d’autres restent expriment une souffrent au vu de la concentration de certains publics d’élèves (quand plus de 50% des élèves ne parlent pas le français et s’invectivent dans une autre langue). Ils disent ressentir un manque de justice à leur égard. Dans les projets d’expression, les adultes peuvent hésiter à s’exposer dans une relation plus proche avec les jeunes dans la mesure où cette dernière pourrait être interprétée comme un signe de faiblesse.
Parfois les enfants sont tentés de quitter un cours qui les ennuie pour le local de décompression. La mixité reste peu envisageable dans un tel établissement scolaire, les très rares filles devant user de stratégies de camouflage ou bien de séduction entretenant l’idée de ‘fille facile’. Le développement des réseaux sociaux ajoute au risque de harcèlement et de propos sexistes. A la fois, même si certains jeunes disent accepter difficilement de se faire diriger par une femme, certains professeurs féminins sont unanimement reconnus pour leurs compétences et leur attitude humaine et juste.
Un risque existe toujours pour un projet quand les personnes centrales, piliers du projet, sont sur le point de quitter pour prendre leur pension.
Poursuite du projet
L’école désire continuer le projet théâtre et l’intégrer complètement au travail quotidien de l’école.
Le turnover au niveau de la direction rend néanmoins la pérennisation du projet difficile.
Contact
Charles Wauters, responsable de projet